Rencontre d'Arles 2024 : les photographes japonais.es à l'honneur
- TetsugakuChat
- 4 août 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 août 2024
Les rencontres d’Arles, comme chaque année, sont l’occasion de découvrir de nouveaux horizons photographiques. Pour cette édition, le Japon et sa photographie particulièrement engagée sont à l’honneur : au moins 37 photographes japonais.e.s y sont exposé.e.s. Voici donc un petit florilège des travaux ayant retenu mon attention.
1. Shiga Lieko - « Où cette nuit nous conduit-elle ? ». L’artiste revient sur la catastrophe de 2011 en photographiant les débris amassés, tout en mettant en exergue par une installation bien pensée le vécu des habitants de la région du Tôhoku. Une expérience forte notamment par la narration mise en œuvre à travers les photographies et leur caractère brut. Le travail de cette photographe est à retrouver dans deux expositions : « Quelle joie de vous voir. Photographe japonaises des années 1950 à nos jours » ainsi que dans l’exposition collective « Répliques 11/03/11 », dans laquelle le travail de 8 photographes est présenté, portant sur la catastrophe de Fukushima.

2. Suzuki Mayumi « le testament de reconstruction ». En mars 2011, la ville natale de la photographe est détruite par le Tsunami et ses parents sont portés disparus. Elle retrouve néanmoins dans la boue l’appareil photo de son père, ainsi que quelques portraits réalisés par ce dernier. Suzuki Mayumi décide de remettre en marche l’appareil photo : des taches apparaissent alors à travers l’objectif, évoquant les souvenirs et le passé s’effaçant peu à peu. Cette partie de son travail est également à retrouver dans l’exposition « Répliques 11/03/11 ». Dans un autre style, le travail Suzuki Mayumi est mis en avant dans le cadre de l’exposition « transcendance » en lien avec le Kyotographie photography international festival. Ses photos parlent cette fois de l’infertilité, et de l’attente de la société envers les femmes, notamment concernant la maternité.
3. Katayama Mari - exposition « Quelle joie de vous voir. Photographe japonaises des années 1950 à nos jours ». Enfant, Mari Katayama subit une opération d’amputation partielle de ses jambes à la suite d’une maladie. En questionnant les standards de beauté et les normes sociétales, l’artiste se met en scène dans des compositions particulièrement saisissantes et originales.

4. Fujii Hikaru, « Des salles de classe divisées par des lignes rouges » (あかい線に分けられたクラス). Ce film aborde la discrimination subie par les habitants de "la zone", la partie évacuée de la ville de Fukushima, en raison de leur proximité avec la radioactivité. Il s’inspire d’une expérience menée en école primaire, appelée « yeux bleus, yeux bruns », après l’assassinat de Martin Luther King Jr. Dans ce contexte, les élèves sont divisés en deux groupes selon leur lieu de résidence, la ville étant séparée par une « ligne rouge ». Chaque groupe joue tour à tour le « mauvais rôle », expérimentant une discrimination fictive qui génère pourtant des sentiments bien réels. Le film examine particulièrement le rôle de la société dans l’acceptation de préjugés infondés.

5. Ishiuchi Miyako - « Belongings », quand les objets rappellent l’absent. Trois séries photographiques sont présentées dans l’exposition dédiée à la photographe : « Mother’s », « Frida », et « Hiroshima ». Le fil conducteur est ici la prise de vue d'objets appartenant à des défunts, que cela soit la mère de l’artiste, les objets ayant appartenu à Frida Kahlo, ou encore les vêtements des victimes d’Hiroshima. Chaque image rend compte de la mort, mais surtout de la vie des intéressés : comment l’accident de bus de la peintre à impacté son quotidien ? Comment continuer d’en apprendre sur la vie d’un proche après sa mort ? Comment rendre réellement compte d’une catastrophe de grande ampleur ? Comme Ishiuchi le dit si bien « Prendre une photographie, c’est mesurer la distance qui nous éloigne du sujet et rendre visibles les choses invisibles qui reposent sous la surface ». La photographie comme médium apparaît alors comme une réponse à toutes ces questions.

Cette liste n’est pas exhaustive, tant les travaux des photographes japonais.es sont présentés cette année. Il était également intéressant de voir la place laissée à l’étude et à la restitution de la catastrophe, sous toutes ses formes. En effet, comme Jean-Pierre Dupuy l’écrit dans sa « Petite métaphysique des tsunamis », la catastrophe se définit comme « une discontinuité radicale qui se produit sur un fond de dynamique continue ». Du latin catastropha venant du grec katastrophê, ce terme désigne un « renversement », instituant alors une nouvelle temporalité. À travers Hiroshima comme catastrophe morale, Fukushima comme catastrophe naturelle, et enfin la mort et le handicap comme catastrophes à l’échelle personnelle, cette rupture apparaît comme un des fils conducteurs de ces différentes expositions.
Retrouvez ici les noms des photographes japonais exposés : Arai Takashi, Fujii Hikaru, Hara Mikiko, Hiromix, Hosokura Mayumi, Ishikawa Mao, Ishiuchi Miyako, Iwane Ai, Kanno Jun, Katayama Mari, Kawauchi Rinko, Komatsu Hiroko, Kon Michiko, Nagashima Yurie, Narahashi Asako, Nishimura Tamiko, Noguchi Rika, Nomura Sakiko, Obara Kazuma, Okanoue Toshiko, Okabe Momo, Ono Tadashi, Onodera Yuki, Sasaoka Keiko, Sawada Tomoko, Shiga Lieko, Sugiura Kunié, Suzuki Mayumi, Tawada Yuki, Tokiwa Toyoko, Tonomura Hideka, Uraguchi Kusukazu, Ushioda Tokuko, Watanabe Hitomi, Yamazawa Eiko, Yanagi Miwa, Yoshida Tamaki…
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